Revue du «Cours complet d’apiculture»

Un portrait de l’apiculture française à la fin du 19ème siècle en même temps qu’un regard unique sur des connaissances au sujet de la conduite de ruches à cadres fixes traditionnelles.
Miels & Forêts

De LAYENS, Georges, BONNIER, Gaston. Cours complet d’apiculture et conduite d’un rucher isolé. Édition originale de 1897, annotée. Préface de GOÏC, Yves et TARDIEU, Vincent, 2013. Éditions Bélin, 458 pages.

Ce texte est un portrait de l’apiculture française à la fin du 19ème siècle en même temps qu’un regard unique sur des connaissances au sujet de la conduite de ruches à cadres fixes traditionnelles. Écrit au moment de la popularisation des ruches à cadres amovibles, l’ouvrage en fait la promotion, tout en tenant compte du contexte général de son époque, c’est-à-dire une prédominance des ruches “vulgaires” en paille, osier ou bois. Son intérêt principal réside dans l’expression d’un esprit scientifique naturaliste qui s’intéresse à tout ce qui a trait aux abeilles et aux fleurs mellifères, afin de faire une des premières synthèse systématique des connaissances apicoles de l’époque. Les planches gravées sont très belles et intéressantes!

L’ouvrage n’est pas une base suffisante pour débuter en apiculture aujourd’hui. Le varroa n’était pas en Europe, la loque américaine non plus. L’hybridage moderne des abeilles n’était pas encore systématique (les abeilles décrites dans l’ouvrage semblent très peu productives comparé aux standards contemporains). Des connaissances clés comme celles relatives aux danses des abeilles et à leurs caractéristiques biologiques et sociales, telles celles développées par Karl Von Frisch, sont absentes. Autant dire que de s’y fier pour le Québec d’aujourd’hui serait une garantie d’échec terrain.

Toutefois, ce traité d’apiculture demeure une mine d’or pour élargir les horizons de celles et ceux qui ont déjà une expérience avec les abeilles. Écrit avec un souci pédagogique évident, il révise un grand nombre de “petits trucs” de base et d’observations populaires de l’époque qui font écho aux observations qu’on peut se faire en travaillant au rucher. D’autres observations d’époque suscitent la réflexion, notamment lorsque mises en parallèle avec la régie de ruches “vulgaires” en bâti naturel.

Également, quoi qu’on en dise sur l’apiculture scientifique et l’amélioration des méthodes, le fond de la régie apicole n’a pas changé depuis le 19ème siècle. Les paradigmes de travail de Layens et Bonnier s’appliquent encore aujourd’hui quant à la santé des ruches, les critères pour juger de la ponte des reines, l’importance de l’accès à l’eau, à l’abondance des ressources florales, la primauté de la colonie d’abeilles comme étant l’individu de référence, la disposition des ruches dans un rucher pour éviter la dérive, de l’importance de la ventilation dans la régie du couvain, etc. À la page 110, ils recommandent même un plateau grillagé pour l’hivernage ou le décollement du plateau et d’isoler la ruche seulement par le haut…

Il faut remarquer quelques faussetés, comme le pain de pollen à la farine comme substitut protéinique de printemps, mais elles sont sommes toutes peu fréquentes dans l’ouvrage.

Sur une note personnelle, je me suis beaucoup amusé à lire les techniques de travail par décalages et permutation des ruches dans les ruchers, qui datent clairement de l’époque des ruches en bâti naturel. Ces techniques de renforcement ou d’affaiblissement des ruches par dérive, ou de reproduction des abeilles par cellules royales naturelles, sont encore pertinentes pour complémenter une pratique moderne. Il y a également de nombreuses techniques de transvasement des colonies. Les parties traitant de la récolte du miel, de la transformation en hydromel et du traitement de la cire sont également très anachroniques aujourd’hui, mais par là même elles acquièrent un intérêt particulier.

En bref, une belle lecture pour élargir ses horizons, mais pas une référence!